Ne refusons pas aux parents le droit de savoir

Nous, professionnels de la rééducation, l’éducation et de la santé, parents d’enfants nés sourds, parfois sourds nous-mêmes, citoyens reconnaissant la dignité de chacun et le droit à la différence, demandons que soit donné aux parents le droit de savoir, dès les premiers jours, si leur enfant présente un trouble de l'audition, afin de l’accompagner et d’être accompagnés suffisamment tôt aux plans humain, psychologique, éducatif et matériel.

Non à l’avis n°103 du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), défavorable au dépistage de la surdité à la maternité au 2ème jour après la naissance (J+2). Cet avis risque d’entraîner des retards de diagnostic et de prise en charge, la frustration des parents, et de freiner le développement harmonieux des enfants nés sourds. Or, on sait que l’amélioration des chances des enfants nés sourds est en relation directe avec la précocité des interventions humaines et techniques proposées à la famille. Les études et la pratique montrent que si le dépistage n’est pas pratiqué à la maternité dès l’instant où sont réalisés tous les examens pour les nouveaux-nés, il n’est pas effectué dans les mois qui suivent. Le CCNE lui-même reconnaît que « Le défaut de prise en charge à une date appropriée de son déficit sensoriel constitue une perte de chances irréversible pour l’enfant sourd » et que le dépistage néonatal est « la méthode la plus sûre pour toucher l’ensemble des enfants ».

Actuellement, la surdité profonde est diagnostiquée trop tardivement (16 mois en moyenne), en dépit des inquiétudes parfois exprimées par les parents et non reconnues par le corps médical. La perte de confiance et les regrets qui en découlent poursuivent les familles de nombreuses années. Le développement de la communication et du langage dépend en grande partie des échanges corporels, langagiers et vocaux de l’enfant avec son entourage, au tout premier plan ses parents. Cet entourage ne pourra pas prodiguer de réponses adaptées aux productions sonores, motrices, visuelles, etc. d’un enfant profondément sourd, si cette particularité n’est pas connue. Les carences pour les enfants et les frustrations des parents vont se poursuivre : les parents seront toujours confrontés à l’inquiétude face à un enfant qui ne réagit pas quand on l’appelle, notamment après l’acquisition de la marche, qui ne dit que des « papa mama » à 18 mois, fait des colères incompréhensibles… Ils devront, seuls avec leurs angoisses, attendre l’âge de l’école pour que les enseignants signalent un souci, ce qui ne sera pas encore un diagnostic.

Des examens d’audition – librement acceptés par les parents, rapides et indolores pour l’enfant – auraient permis un repérage précoce, puis un diagnostic précis, et le cas échéant, la mise en place d’actions adaptées aux besoins spécifiques de l’enfant et respectueuses des choix de la famille. En France, des régions ont commencé à pratiquer le dépistage à J+2, amenant à un diagnostic précis dans le mois qui suit. Le travail de la CNAMTS estime actuellement que 17 % (estimation basse plancher) des enfants nés en France naissent dans un lieu où un programme de dépistage existe. Ces dépistages ont suscité aussitôt la mise en place de programmes adaptés, avec un accompagnement spécifique de l’enfant et de sa famille.

Pourquoi supprimer ces avancées ? Que se passera t-il pour les enfants qui naîtront demain dans ces régions pilotes ou ailleurs en France ? Faudra-t-il attendre comme par le passé qu’ils manifestent leurs difficultés de communication et des comportements d’opposition, d’hyperactivité ou de repli, que leur voix devienne rauque par un usage excessif d’une intensité majorée pour être perçue... Faudra-t-il attendre de la part de l’enfant un retard de langage difficile à rattraper par la suite, des difficultés psychologiques, une perte d’estime de soi, pour agir ?

Les arguments avancés à l’encontre du dépistage précoce sont les suivants :

- Il y aurait un risque de « paroxysme anxieux » à annoncer dès la naissance un doute sur l’audition d’un enfant. Cet argument ne tient pas compte de l’accumulation des sujets d’anxiété face à un enfant non dépisté, avec qui les parents peinent à communiquer parce qu’ils ne savent pas. Le CCNE reconnaît de plus que « le trouble évité au départ peut réapparaître sous une forme non moins déchirante ».

- Le taux d’erreur serait trop important pendant la période néonatale. Or ce risque, réel dans les premières heures après la naissance, « s’effondre lors de la répétition d’un deuxième examen dans les premiers jours » , comme le reconnaît lui-même le CCNE.

- Les parents seraient mis en face d’une absence de choix : mais où est la liberté de choisir dans l’ignorance, lorsqu’il faut assumer des conséquences irréversibles dans les domaines pédagogiques, linguistiques, psychologiques ? Un diagnostic précoce permet l’information, la réflexion et de vrais choix.

- Le CCNE semble avoir assimilé « prise en charge avec implantation cochléaire ou appareillage » : c’est méconnaître la valeur du travail de prévention et d’accompagnement familial par les soignants, dont les orthophonistes qui interviennent auprès des familles et de leurs enfants dès l’annonce du diagnostic de surdité. Le diagnostic précoce, c’est aussi la possibilité précoce d’accéder aux moyens de communication adaptés, comme la langue des signes, le LPC, la lecture labiale. Face à un bébé qui présente une surdité, la prise en charge est multidisciplinaire et les parents doivent trouver auprès des professionnels, des associations, des personnes sourdes, etc. les moyens de s’informer et de choisir leurs modes de communication. Quand rencontreront-ils ces interlocuteurs alors que, préoccupés par le temps perdu, ils chercheront dans l’urgence des solutions pour faire face à une situation inconnue puisque 90 % des enfants sourds naissent de parents entendants?

L’absence d’un système de dépistage précoce ne couvre aucun des objectifs affirmés dans l’avis 103 du CCNE. Où est l’éthique lorsque, au nom d’un droit à la différence que personne ne nie, on impose de fait une perte de chance à l’enfant par la limitation d’accès aux prises en charge linguistique, médicale et pédagogique ? Le droit à la connaissance et à la reconnaissance, le droit à l’accompagnement, à l’éducation, aux soins, vont-ils être refusés chaque année à près d’un millier d’enfants et à leurs familles ?

 

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