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Remarques et regards sur l'implant cochléaire

REMARQUES ET REGARDS SUR L'IMPLANT COCHLÉAIRE

 

Claire Eugène, Psychologue, CAPP, Paris

 Les patients parlent fort peu de leur implant, telle est la remarque assez étonnante, mais pourtant la plus prégnante, après réflexion autour de ceux de mes patients, qui sont sourds, parfois implantés. Il est alors impératif de se demander pourquoi. 

L'implant est très rarement le lieu d'un symptôme qui ouvrirait la voie d'une demande de consultation ou de thérapie.

Sauf parfois lorsqu'il y a embarras dans le choix. Et la demande est alors le fait de grands adolescents ou de jeunes adultes qui se posent la question d'être implantés.Réfléchir avec eux, dans un cadre permettant qu'une parole se déploie, est passionnant.Apparaissent alors réalités et fantasmes sur l'audition, le manque, l'effraction de l'opération, la localisation de l'implant; l'imaginaire est florissant, pris dans les rets des idéologies diverses. " Je veux entendre le chant des oiseaux, et le ressac de la mer", dit l'un" Je ne veux pas que l'on me voie avec "ça", ce serait la honte", dit l'autre." On m'ouvrirait le crâne pour mettre quelque  chose dans le cerveau, très peu pour moi", dit la troisième." Les copains le verraient, il faudrait que je leur explique ce que j'ai", dit celui qui est angoissé par son syndrome de Usher."Je vois bien tel camarade de classe, il a un implant, mais il n'entend pas, il ne travaille pas bien, et en plus, il n'est pas sympa!" dit celle dont l'audition baisse rapidement." Pour moi, la surdité, c'est comme si j'avais une oreille coupée, avec l'implant, ce serait réparé!", dit celle qui hésite.La proposition d'implant, entre corps et psyché, met à jour la souffrance psychique, qui peut ensuite être travaillée. Mais reprenons la remarque initiale, paradoxale. Plusieurs pistes s'offrent à la recherche. 

Le cadre

Dans le cadre de thérapies analytiques, l'implant cochléaire ne change ni les modalités du travail psychique, ni le discours des patients. En effet, il s'agit d'accueillir la souffrance pour en repérer les tenants et les aboutissants, les nommer pour les accepter et les dépasser, éviter qu'ils ne s'inscrivent en symptômes dans le corps, la scolarité, les relations.On est alors à l'écoute d'une subjectivité, et il arrive que le patient soit sourd, soit porteur d'un implant cochléaire.Mais de cela : décision d'implantation, évaluations diverses (psychologique aussi), préparation à l'opération, réglages, progrès langagiers, il est longuement débattu avec les différents professionnels de l'équipe spécialisée, scolaire, hospitalière. Parents, enfants, adolescents, jeunes adultes, sont très sollicités, encadrés, par ces équipes, autour du focus "implant".Ce n'est donc pas de lui en particulier qu'ils parleront dans la temporalité d'une psychothérapie. 

Du côté de l'enfant

Le psychanalyste peut être sollicité à des moments divers de l'évolution de l'enfant,car "si le désir est l'énergie vitale qui impulse la vie, il se manifeste bien souvent de manière obscure et détournée", dit Délia Kohen.

L'enfant se signale, interpelle, alerte par des symptômes et une souffrance qui y est associée. Ce sont des points d'appel, appel à ceux qui en ont la charge, parents, professionnels . Notre intervention sera alors de l'accompagner pour retrouver une trajectoire de vie moins coûteuse en énergie détournée du désir. Symptômes, douleur ou souffrance, pour qui?

Lorsqu'ils sont petits, ils ne "parlent" pas forcément de leur prothèse, numérique ou cochléaire. Elle peut être un objet-enjeu dans la relation aux parents, ils la retirent, la refusent, la perdent, alors qu'elle représente tant d'espoir parental.

Puis elle fait partie d'eux-mêmes, incluse dans l'image du corps, d'autant plus qu'elle apporte un confort certain. Et ce n'est pas d'elle qu'ils parlent.

Ils parlent de leurs difficultés, de leurs soucis de vie, dans lesquels être sourd est un élément, être implanté est un élément, les deux ont des conséquences obligatoires, souvent lourdes en termes de scolarité, d'accompagnement de professionnels, d'exigences des parents. Mais ils disent les autres aspects de leur vie : l'amour des parents, des frères et soeurs, des copains, les découvertes intellectuelles,  sexuelles, l'agressivité, la honte, ce qui interroge dans la vie.

Adolescents, ils se plaignent de ne pas être assez libres, de la vie pesante, de leurs amours, secrètes ou non, comme les adolescents entendants.

 

Du côté des parents

Spontanément ils l'évoquent peu. Il faut parfois les questionner dans les entretiens préliminaires. L'implant est un moment fort, un passage dans un itinéraire de surdité, mais ils ne viennent pas consulter pour cela. Nous avons pu toutefois repérer certaines fonctions psychiques de l'implant.

Le désir de réparation trouve une solution qui atténue l'angoisse face à l'impuissance, et à la culpabilité. L'effraction de l'implant cochléaire redouble, annule ou distancie l'effraction initiale du diagnostic. Illusion et déni sont présents, avec leur caractère positif, rappelons le, s'ils restent passagers, transitoires. Ils signalent la rapide amélioration de la vie quotidienne, familiale, puis la vie reprend sa force; l'implant n'exonère en rien d'éventuels moments de dépression consécutifs à des crises par exemple. Parfois, l'implant, par son échec,  a révélé des difficultés langagières insoupçonnées. Il représente alors encore plus le diagnostic et ses effets délétères, il stigmatise les blessures qu'il était censé réparer. 

Et la psy?

Sans visée évaluative, ni décisionnelle, sa connaissance de la surdité et de ses méandres, en fait une partenaire "supposé en savoir suffisamment" pour qu'il n'y ait pas à tout lui expliquer. Elle pourra ne pas confondre fantasmes et réalité, pointer ce qui est de l'ordre d'une subjectivité, et ce qui revient aux nécessités de la surdité, sans idéologie , sans à priori pour ou contre l'implant pour cet enfant-là, cette personne-là.

 Claire EUGÈNEParis, le 28 Janvier 2005    

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