Evolution des indications d'implantation cochléaire chez l'adulte
Emmanuèle Ambert-Dahan
Orthophoniste
Hôpital Beaujon, AP-HP
Faculté X. Bichat, 92110 Clichy
A l’heure où les avancées médicales, chirurgicales et technologiques sont considérables, la précocité du diagnostic, le choix du mode de réhabilitation et la rééducation sont des éléments primordiaux pour optimiser la prise en charge de la surdité.
Ainsi, nous allons voir que les indications d’implantation et le suivi post-implantation ont évolué ce qui se traduit par des situations cliniques différentes :
n Surdité évolutive depuis de nombreuses années appareillée des deux côtés avec un bénéfice limité Ü implant + prothèse auditive contro-latérale.
n Surdité bilatérale profonde progressive ou brusque Ü implantation uni ou bilatérale (méningite).
n Surdité sévère bilatérale lentement évolutive avec conservation des fréquences graves et chute sur les fréquences aiguës Ü stimulation électroacoustique : implant cochléaire et prothèse du même côté.
n NF2, méningite, malformation oreille interne, schwanomme vestibulaire unilatéral Ü ABI.
Nous allons, en premier lieu, évoquer le bilan orthophonique pré-implant car il fait partie de la prise en charge initiale du patient, avec les autres bilans O.R.L, audiométriques, vestibulaire, radiologique et psychologique.
Il comporte plusieurs objectifs :
j Retracer l’histoire de la surdité (anamnèse)
k Déterminer la plainte du patient et sa demande.
l Recenser les modalités de communication utilisées par le patient (lecture labiale, LSF, langage gestuel personnel, LPC, etc …)
m Evaluer le niveau d’intégration auditive dans plusieurs configurations :
– audition seule
–prothèse(s) auditive(s) seule(s)
–audition/prothèse(s) et lecture labiale
–lecture labiale seule
n Evaluer les difficultés de compréhension dans la vie quotidienne : milieu bruyant, réunions, conférences, téléphone, TV, etc…
o Analyser le contrôle vocal (intensité, timbre et débit) et l’intelligibilité de la parole.
p Observer les processus d’attention et de mémorisation.
q Evaluer le niveau de langage oral :
–sur le versant expression (lexique, syntaxe et pragmatique).
– sur le versant réception c’est-à-dire les capacités de compréhension.
rDéfinir le contexte socio-professionnel et les répercussions de la surdité sur le statut social.
s Déterminer le niveau socio-culturel, les centres d’intérêt et l’appétence du sujet pour les activités linguistiques (lecture, écriture, jeux de langage, apprentissage de langues étrangères, etc …).
+ Evaluation spécifique du sujet âgé : bilan de mémoire (évaluation neuropsychologique) et de la communication.
Plus précisemment, le bilan orthophonique comporte une évaluation quantitative (tests) et qualitative :
nL’identification de phonèmes dans les listes cochléaires (Lafon).
nLa reconnaissance de mots monosyllabiques dans les listes cochléaires (Lafon).
nLa reconnaissance de mots dissyllabiques en liste ouverte (Fournier).
nLa compréhension de phrases en liste ouverte dans le silence et dans le bruit (protocole d’étude MBAA).
nUne explication complète sur le principe de fonctionnement de l’implant cochléaire, l’intervention et le suivi post-implantation (réglages du processeur et rééducation).
nUne présentation du matériel et de l’entretien ainsi qu’un détail du budget qui devra y être consacré (batteries, câbles et assurance).
nUne évaluation de la motivation et des attentes du patient par des questions ouvertes.
nA la demande, une rencontre avec une personne implantée peut être organisée dans le service ou à proximité du domicile grâce à l’association créée par les patients.
Tout d’abord, nous allons évoquer l’indication d’implantation cochléaire unilatérale à travers deux cas cliniques : il s’agit pour le premier d’un patient présentant une maladie de Ménière avec des fluctuations sur l’oreille controlatérale et, pour le second, d’une patiente présentant un bénéfice audioprothétique controlatéral mais une gêne fonctionnelle très importante dans sa communication quotidienne.
De plus, l’allongement de l’espérance de vie ainsi que notre expérience de l’implant cochléaire depuis maintenant 16 ans, ont mis en lumière l’importance d’évaluer les enjeux de l’implantation du sujet âgé, en prenant comme repère l’âge moyen de la retraite, c’est-à-dire 65 ans :
Il s’agit d’une étude multicentrique réalisée en partenariat avec 11 centres d’implantation en France, débutée en Octobre 2006 et actuellement à mi-parcours avec, en Janvier 2008 : n= 48 patients inclus dont n= 29 implantés et n= 26 activés.
Les patients bénéficient d’une évaluation pré-implant puis à 1, 6 et 12 mois post-implant au moyen d’un protocole spécifique :
– Audiovox : test de compréhension de phrases dans le bruit.
– Bilan neuropsychologique pré et post-implant effectué par l’équipe gériatrique du Dr Madjlessi.
– Elaboration par le Dr Pariel, gériatre, d’un test rapide et validé de dépistage de la démence, le Codex.
De cette manière, nous avons déjà pu relever certaines spécificités au niveau de la prise en charge :
n Pas de particularités au niveau des modalités de réglage (adaptabilité, capacité à tester des options différentes) et variations interindividuelles identiques à celles des autres tranches d’âges.
nIntérêt du bilan neuropsychologique pour orienter la rééducation si nécessaire.
nPatients souvent très impliqués dans la vie associative et à la recherche de l’optimisation de leurs performances avec l’implant (self-training, utilisation des nouveaux médias, etc …)
Par ailleurs, l’implantation cochléaire bilatérale a évolué et répond à deux situations cliniques :
nSurdité totale bilatérale (post-méningitique, traumatique, etc ...) Ü implantation simultanée.
nSurdité bilatérale progressive avec conservation d’un bénéfice prothétique unilatéral Ü implantation séquentielle.
Nous savons aujourd’hui que les bénéfices potentiels sont l’accès à la stéréophonie et à la localisation spatiale, l’amélioration de la sélectivité fréquentielle et de la reconnaissance de la parole dans le bruit ainsi que l’effet potentiel sur le développement des structures auditives centrales (surdités congénitales ou anciennes).
Les spécificités du suivi post-implant sont les suivantes :
nPrincipe des réglages et adaptation identiques à un seul implant.
nRééducation avec les deux processeurs si simultané et séparément si séquentiel.
nSouvent, les performances auditives sont modérées pour chaque implant mais satisfaisantes en milieu calme avec les deux.
nIntérêt de développer la compréhension dans le bruit.
nIntérêt de proposer rapidement des exercices pour la localisation de la source sonore.
L’implantation électro-acoustique correspond à une situation clinique pour laquelle il n’y avait auparavant aucune possibilité d’appareillage : l’altération de l’audition sur les fréquences aiguës avec une audition résiduelle sur les graves.
Ainsi, les implants hybrides permettent d’utiliser une stimulation bimodale, c’est-à-dire acoustique sur les graves et électrique sur les aiguës avec, les critères d’inclusion suivants :
nLes candidats adultes pour l’implantation cochléaire : moins de 50% pour les mots dissyllabiques de Fournier à 70 dB.
nPlus de 10% pour les mots dissyllabiques de Fournier sur la moins bonne oreille.
nSurdités sévères à profondes ou profils en « pente de ski ».
Les bénéfices potentiels de ce type d’implantation sont les suivants :
nAméliorer la compréhension de la parole dans le silence et dans le bruit grâce à la prothèse ipsilatérale.
nAméliorer l’aspect qualitatif de la perception de la voix : plus naturelle.
nConserver l’audition résiduelle avec le processeur contour Hybrid et la chirurgie « Softip » ?
Ainsi, les premiers résultats cliniques mettent en évidence une conservation d’une audition utile dans 70% des cas chez des patients présentant en pré-opératoire un déficit ≤ 60 dB sur les graves (n=10, James et al. Audiol Neurotol.2006;11 (Suppl 1):57-62) et une amélioration des performances dans le bruit (Gantz et al. Audiol Neurotol.2006;11 (Suppl 1):63-68)
Spécificités de l’optimisation :
nDétermination des seuils de perception délicate : acouphènes, audition résiduelle, …
nDéclenchement parfois tardif de la sensation auditive (ressenti « physique ») pour les électrodes aiguës.
nSeuils de confort souvent homogènes mais diminution globale nécessaire lors de l’essai à la voix car intolérance importante.
nPériode d’adaptation plus longue.
nAmélioration très rapide du contrôle audio-phonatoire et plaisir de redécouvrir le timbre et les modulations de sa propre voix.
nIntérêt de tester plusieurs maps avec des fréquences de coupure différentes (ex : 438 et 563 Hz) en associant l’autosensibilité et ADRO.
nEchanges fréquents avec l’orthophoniste au cours de la rééducation.
nPatients souvent performants avec une finesse d’analyse élevée.
Particularités de la rééducation auditive :
nRééducation nécessaire même si la compréhension est d’emblée performante en milieu calme.
nRepères auditifs modifiés après chaque réglage et ajustement du contrôle audio-phonatoire à faire.
nTravail sur la compréhension en milieu bruyant, les échanges à plusieurs et la rapidité.
nEntraînement à la localisation spatiale.
nEssais d’accessoires pour le téléphone et les réunions : telecoil, smart link, système HF.
Enfin, l’implantation du tronc cérébral concerne des indications plus rares :
nNeurifibromatose de type II (NF2) : n=17
nOssification cochléaire bilatérale post-méningitique: n=3
n Malformation de Mondini: n=1
n Neurinome acoustique et surdité totale ancienne controlatérale: n=2
Les différents cas présentés et donc les différentes étiologies mettent en lumière l’hétérogénéïté des résultats et les particularités de la prise en charge :
nLes premiers réglages sont effectués sous la surveillance d’un anesthésiste, en salle d’opération, mais sans nouvelle anesthésie. Cette surveillance est une sécurité car le porte-électrodes est placé près du tronc cérébral, à proximité d’autres structures nerveuses.
nLes électrodes dont la stimulation entraîne des vertiges, des stimulations faciales, des douleurs ou des sensations désagréables seront inactivées s’il n’est pas possible de modifier des paramètres de réglage tels que la fréquence ou l’amplitude afin de réduire ces effets indésirables.
nLe nombre d’électrodes actives est variable, de quelques-unes à vingt.
nLa détermination de la tonotopie, ou répartition fréquentielle, est longue et souvent difficile.
nLimite au bénéfice de l’ABI : les troubles visuels associés.
Enfin, je voudrai finir en évoquant les «nouveaux supports» pour la rééducation auditive tels que les CD-Rom de rééducation ou d’entraînement, les DVD, les livres enregistrés et le développement de salles de spectacle équipées de boucles magnétiques et/ou d’écrans individuels avec le texte.
En conclusion, l’évolution des indications nous amène à personnaliser de plus en plus la prise en charge des patients implantés en ce qui concerne l’évaluation et le suivi post-implant.
Dans cette perspective, on comprend à quel point une rééducation auditive multimodale est indispensable pour faciliter l’adaptation à l’implant, favoriser le développement de la perception auditive et permettre à chaque individu de se réapproprier ses propres outils de communication afin d’améliorer sa qualité de vie.
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