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Nouvelles pistes orthophoniques

« Entendre et comprendre les mystères d’un couple »

Annie Dumont, Orthophoniste, Université de Paris VI, Hôpital Robert Debré, CAPP DA Paris 13

L’apport des implantations cochléaires dans le domaine des surdités interroge les pratiques orthophoniques car les liens entre « entendre et comprendre » sont modifiés au sein de la communication verbale et de la cognition sociale.

Les résultats actuels : Depuis plus de 15 ans, la plupart des études mettent en évidence des variations interindividuelles dans les bénéfices des implantations cochléaires mais des tendances apparaissent. L’ensemble des résultats des dernières années (prenant en compte des groupes plus homogènes sur l’âge, l’ancienneté de la surdité et la durée d’utilisation de l’implant) et les observations des cliniciens de terrain révèlent des particularités dans le développement verbal, cognitif et psychologique des enfants sourds. Les tendances qui se dégagent indiquent un décalage dans certains aspects de la parole et du langage et des particularités dans ces mêmes domaines. Quel que soit l’âge d’implantation, les capacités de production s’accroissent dans l’année qui suit l’activation des électrodes et les phonèmes réputés difficiles (R, L) sont aisément acquis alors que les occlusives voisées peuvent poser problème (Audoit et Carbonnière 2005). La prosodie est parfois affectée avec des phénomènes de suraccentuation et des erreurs phonétiques qui touchent les mots longs. On relève des difficultés de programmation rapide d’articulation qui peuvent nuire à l’intelligibilité orale (Thaler 2005). Les implants ne codent pas complètement toutes les informations de mode, voisement et lieu d’articulation (Medina 2006), la boucle audio phonatoire qui se met en place rapidement après l’activation des électrodes reste altérée alors que certains sujets gagnent nettement en intelligibilité orale.

Le lexique s’élargit dès les premiers mois et l’amélioration se poursuit dans le temps (Chute, Myamoto) mais on observe un développement atypique (Geers) avec des phénomènes de surextension peut être en lien avec des difficultés de mémorisation. Il existe une dissociation entre un lexique actif disponible correct et des performances moyennes en fluence verbale phonologique (Thaler et Kremin 2005).

Les éléments syntaxiques perturbés touchent plus spécifiquement les pronoms que les flexions verbales et l’on observe des dissociations entre la réception et la production avec des résultats parfois supérieurs aux enfants entendants du même niveau d’âge pour les épreuves de jugement de phrases alors que ces jeunes implantés cochléaires âgés de 5 à 12 ans rencontrent des difficultés dans la production syntaxique correcte des phrases.

Le profil cognitivo langagier des enfants sourds implantés cochléaires apparaît spécifique et questionne les phénomènes de plasticité cérébrale. Le rapport bien établi actuellement entre la précocité de l’implantation et les résultats dans les divers aspects du langage confirme la notion de période sensible dont le seuil est déterminé pour Sharma (2002) à 3 ans 6 car le sujet cumule alors non dégénérescence et grande plasticité. Mais il semble que l’âge de deux ans constitue une frontière dans la période sensible pour le développement du langage oral (Neuburger 2004) quand on compare les résultats en performance de perception de la parole dans des groupes d’enfants implantés à 2, 3 et 4 ans. Et il augmente encore pour les enfants munis d’implants bilatéraux qui améliorent notamment leur perception dans le bruit.

Dans la communication, les mécanismes de traitement du message verbal ne sont pas uniquement auditifs, la vision et la motricité intervenant dans le traitement du langage au sein de la cognition sociale. Ainsi le bébé capte, analyse et interagit à partir d’une lecture des intentions de l’autre portée tout autant par l’expression des yeux, les mouvements des lèvres que par la perception de la parole.

L’apport de l’imagerie Des travaux récents de Sanson et Belin révèlent que la voix « pilote » en grande partie l’accès aux informations de cognition sociale. L’imagerie fonctionnelle cérébrale a révélé l’activation du sillon temporal supérieur pour l’intégration de la parole audiovisuelle et les travaux d’Arnaud Coez présentés dans cette journée AIRDAME ont montré qu’une aire bi-temporale de reconnaissance de la voix humaine constitue un marqueur potentiel d’évaluation des implants cochléaires. Des travaux de Sharma montrent une évolution rapide des potentiels évoqués dans les 8 mois qui suivent l’implantation cochléaire et témoignent d’une certaine plasticité. Tandis que Pisoni a confirmé les travaux de Giraud et montré que les enfants sourds implantés cochléaires tirent profit des informations visuelles pour traiter le signal de parole mais que les variables cognitives d’attention et de mémoire de travail peuvent être impliquées et rendre compte des variations interindividuelles.

Implications pour la rééducation L’apport des implants cochléaires dans le paysage des surdités de l’enfant est indéniable et les résultats obtenus dans les différents pays témoignent d’une nécessité de renouveau dans les prises en charge. Au lieu d’un entraînement majoritairement auditif les orientations à privilégier s’organisent autour

· D’une approche multimodale dans laquelle vision+audition+motricité doivent être sollicitées pour détecter les indices, identifier les mots, comprendre les énoncés en fonction du contexte de communication.

· D’une approche cognitive qui stimule les mécanismes d’attention et de mémorisation pour construire des représentations lexicales.

· D’une approche pragmatique donnant une grande place aux actes de langage et notamment à la conversation.

Bibliographie :

Audoit A Carbonnière B., « Un retard de langage oral spécifique à l’enfant implanté » Glossa, n°93, 2005

Dumont A., « Orthophonies et surdités » à paraître 2008 Elsevier Masson

Dumont A., « Démutisation des surdités du premier âge appareillée ou non y compris les implants cochléaires » Les approches thérapeutiques en orthophonie Tome 3, 10-27, Ortho Editions 2004

Giraud A.L « Imaging plasticiy in cochlear implant patients » Audiol Neurootol, 2001, 6, 381-393

Giraud AL “ The contribution of visual areas to speech comprehension: a PET study in cochlear implants patients and normal hearing subjects” Neuropsychology, 40, 1562-1569, 2002

Le Normand MT « Evaluation du lexique de production chez les enfants sourds profonds munis d’un implant cochléaire » Rééducation orthophonique, n° 217, 2004

Pisoni D. « Cognitive factors and cochlear implants : some thoughts on perception, learning and memory in speech perception. Ear and Hearing, 21, 70-78 2000

Sharma A et all « Early cochlear implantation in children allows noraml development of central auditory pathways » Ann otol rhino laryngol, 189, 38-41, 2002