Prise en charge précoce: quels changements dans nos pratiques?
Audrey Colleau-Attou
Orthophoniste
AIRDAME 2008
L’intervention des orthophonistes auprès des jeunes patients sourds ne peut se concevoir sans la connaissance des compétences précoces des bébés.
Les données scientifiques s’accordent pour avancer que le bébé est équipé d’un bagage cognitif mais que la réponse du milieu est essentielle.
Le caractère précoce de la prise en charge est un atout majeur pour le développement du langage des enfants sourds. Dès lors le diagnostic de la surdité réalisé, nous accueillons l’enfant et sa famille et empruntons ensemble le chemin qui mènera à l’émergence du langage.
Nos interlocuteurs, nos outils d’évaluation, et notre approche clinique sont ici abordés avec « un point de vue interactif ».
L’enfant et sa famille sont au centre d’une constellation de professionnels qu’ils vont rencontrer à un moment donné dans leur parcours.
Pour les parents, la rencontre avec le médecin pédiatre constitue un point de départ essentiel, ce dernier va être le référent pour tout nouveau parent. C’est celui qui soigne une pathologie avérée, et c’est aussi celui qui est censé repérer, détecter tout comportement jugé « anormal » par rapport au développement de l’enfant. Il est à intégrer dans la sphère audiophonologique mais ses moyens d’évaluation de l’audition sont limités. L’utilisation par certains du test de Moatti, ou bien de l’échelle d’évaluation des conduites néo-natales de Brazelton, pourra éveiller des soupçons sur un éventuel trouble auditif, et renseigner l’orthophoniste quand un suivi débutera. Dès lors qu’un trouble auditif est diagnostiqué, l’orthophoniste s’engage dans un travail en réseau avec l’équipe pluridisciplinaire (ORL, phoniatre, audioprothésiste, psychologue, psychomotricien…) qui demeure incontournable, et surtout indispensable pour conduire à une prise en charge de qualité..
L’évaluation précoce de l’enfant sourd s’organise autour de :
- l’anamnèse
- des questionnaires auprès des parents
- des tests standardisés (si l’âge de l’enfant le permet)
- l’observation des données spontanées de l’enfant au travers d’une interaction filmée.
C’est sur ce dernier point que nous dégagerons les éléments pertinents qui nous permettront d’envisager une approche différente dans notre intervention précoce.
Dans ce cas, l’observation est double : il s’agit en effet d’étudier l’attitude de communication de l’enfant, et aussi l’attitude de communication des parents.
Il est fréquent d’observer chez les parents d’enfants en difficultés les comportement suivants:
- la non-adéquation de la Zone Proximale de Développement (Vygotski)
- la disparition de la notion de plaisir dans l’interaction
- la sous-exposition aux modèles linguistiques
- l’installation des difficultés dans les interactions familiales
Pour observer les parents, l’utilisation de la vidéo va permettre un accompagnement vers le changement. Ces derniers deviennent des acteurs dans la prise en charge de leur enfant : il s’agit en effet d’une mise en action avec mesure des effets. La parentalité est ainsi renforcée.
Le but de la procédure est de permettre une prise de conscience des parents sur les attitudes de communication, d’engager avec eux une généralisation, ce qui met en lumière un véritable changement dans le milieu.
Dans notre pratique clinique, il s’agit d’un accompagnement familial d’un autre ordre, grâce à l’outil vidéo.
L’information autour de la surdité, la communication et le langage reste indispensable pour bâtir ensuite le temps de l’activité où les parents vont interagir avec leur enfant en utilisant des stratégies personnalisées.
Un programme d’intervention peut se mettre en place en deux temps (A. Bo, 2007) :
- Evaluation de l’enfant et des parents, diagnostic et compte-rendu, propositions, prise en charge si nécessaire
- 6 à 8 rencontres au cours desquelles des feed-back, des propositions, une guidance et une dernière séance deux mois après la fin du suivi pour réévaluation.
Il est important de laisser aux parents la liberté de choisir le moment où ils vont être filmés, c’est souvent lors d’une routine quotidienne.
Les objectifs à atteindre seront gradués et viseront à améliorer et enrichir l’interaction avec leur enfant. L’interaction elle-même pourra être analysée à l’aide de grilles (Grille des interactions verbales, Dumont, Grille de Rosseti,…).
L’orthophoniste doit utiliser des techniques de communication appropriées pour avancer avec tout parent, en acceptant et en reconnaissant leurs valeurs. Il ne s’agit en aucun cas d’un travail basé sur la dynamique familiale mais sur « un modèle dynamique de la communication » ( Bloom et Lahey, 1978 ).
La prise en charge précoce de l’enfant sourd n’est pas une donnée nouvelle pour l’orthophoniste. Elle s’intègre dans une prise en charge multidisciplinaire, où le partenariat entre les professionnels médicaux, paramédicaux, et professionnels de l’éducation conditionne l’efficacité du suivi. Cette approche « écologique » à l’aide de la vidéo est un moyen privilégié d’intégrer aussi les parents et de poser ainsi les bases d’une communication de qualité.
Avec un dépistage néonatal de la surdité, c’est autant de chances pour les parents de construire des échanges vrais et adaptés avec leur enfant. Ce type d’intervention participe à la réussite d’une prise en charge précoce active et constructive.
Bibliographie
- BO, A., Evaluation et prise en charge du très jeune enfant. Utilisation de la vidéo. 6è Journées Scientifiques de l’Ecole d’orthophonie de Lyon, 2007
- BO, A., Essai d’adaptation d’un programme familial à la pratique en libéral, Rééducation orthophonique, vol 203, Paris, 2000
- BLOOM L., LAHEY M., Language Development and language disorders, Ed J. Wiley, New York, 1978
- BRAZELTON T., Echelle d’évaluation du comportement néonatal, Neuropsychiatrie de l’Enfance, 31, (1983), 61-96,
- BRUNER J., Comment les enfants apprennent à parler ?, Ed Retz, 2002
- COLLEAU-ATTOU A., De l’implantation cochléaire précoce à la prise en charge, Entretiens d’Orthophonie, Paris 2006
- COLLEAU-ATTOU A., Implantation cochléaire pédiatrique précoce et acquisition du langage, L’Orthophoniste, n°252, 2005
- COLLEAU A., Aide au bilan surdité, (logiciel L.A.B.O. : protocoles + grille d’observation des interactions verbales d’A. Dumont) Rééducation orthophonique, n°212, 2002
- DE BOYSSON-BARDIES, Comment la parole vient aux enfants, Ed O. Jacob, Paris 2005
- DEHAENE-LAMBERTZ G., Bases cérébrales de l’acquisition du langage : apport de la neuro-imagerie, Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 52 (2004)452-459
- DUMONT A., Idées reçues sur les prises en charge des surdités, L’Orthophoniste, n°274, 2007.
- DUMONT Annie – Implants cochléaires, surdité et langage. Ed de Boeck, 1996
- DUMONT Annie – L’orthophoniste et l’enfant sourd, Ed Masson 1996
- GARITTE C., le développement de la conversation chez l’enfant, Ed De Boeck, Paris 1998
- JUAREZ SANCHEZ Adoracion MONFORT Marc – Savoir dire : un savoir faire, Ortho-edition 2003
- ROSSETI L., Communication intervention, birth to three, Singular Publishing Group, San Diego, 1996
- VINTER Shirley - L’émergence du langage de l’enfant déficient auditif. Des premiers sons aux premiers mots. Ed Masson, 1994
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